Arles : Léa «torero» avant tout

La Nîmoise Léa Vicens, reine de la corrida à cheval, est à l’affiche ce matin

Par Julie Zaoui et Valérie Farine

  • Betico pour les quiebros, Diluvio pour les pirouettes, Diamante «spectaculaire en restant dans l’air pendant que tu cloues les banderilles», Espontaneo pour le rejon de mort, Desehado pour les courtes… Chacun des 18 chevaux de l’écurie a une spécialité.

 

Constantina, 4 oreilles et une queue. Illescas et Cieza, 3 oreilles. Valencia 2 oreilles. Castellon, Ubrique, Calatayud… Les sorties en triomphe s’enchaînent depuis la mi-février pour Léa Vicens, torero à cheval au sommet du classement international (Escalafon) ces deux dernières temporadas. En pleine ascension, La Provence l’a rencontrée dans une forme magistrale. Arles, aujourd’hui, constitue le premier gros morceau de 2019. Après, il y aura Séville puis, le 8 juin, un mano a mano avec Pablo Hermoso de Mendoza dans les arènes prestigieuses de Madrid…

C’est depuis 12 ans au Rancho El Rocio, chez les frères Rafeal et Angel Peralta, à la Puebla del Rio au sud de Séville, qu’elle travaille d’arrache-pied son rang de premier torero du circuit. «Oui, moi je suis torero… Et pas torera ! Je déteste le langage inclusif. La langue française n’a pas besoin de tout cela !Être torero, c’est incluant. Il y a aussi bien l’homme que la femme. Que je sache, on dit seulement peintre. Être artiste… n’a pas de sexe ! En plus, il n’y a pas de compétition genrée en tauromachie. On ne fait pas de corridas de filles et de garçons !» Léa sait que les taureaux de combat se moquent pas mal du sexe des toreros. Comme les chevaux d’ailleurs… La chanson pourrait être un peu différente du côté des «compañeros» masculins. Sur ce tableau, Léa pratique l’humour. Elle l’a dit dans l’hiver dans le cadre d’un reportage que lui a consacré la BBC. «Au début, ils ont vu arriver une mignonne fifille, puis ils se sont rendus compte qu’elle était parvenue à ses fins… et que maintenant, elle emmerdait quand même pas mal !» Léa n’a aucune difficulté là-dedans. «Mais tout est surtout une question d’engagement, de travail, de persévérance… Une série de valeurs acquises qui font qu’on est dévoués et passionnés par ce que nous faisons : femmes et hommes confondus !»

Il est 10 heures quand nous entrons dans le Rancho El Rocio. Un haut lieu du rejon des années 70 ? 80. Là où Don Angel et Don Rafeal Peralta, cavaliers de l’Apothéose, ont inventé leur tauromachie, fabriqué des chevaux-toreros de légende… Là aussi où, il y a 12 ans, les installations ne désemplissaient pas avec des groupes tous les week-ends… «Aujourd’hui la concurrence est rude, le lieu est un peu passé de mode. Ce n’est pas adapté pour seulement 200 personnes» explique Léa.

Mais autour des hangars agricoles où les ouvriers travaillent, entre les branches des hauts palmiers bordant la carrière extérieure au sable clair, sur les chaudes pierres des arènes, juste à côté des salles de réception, les oiseaux chantent toujours. Les cigognes, qui ont même une salle à leur nom tant elles sont ici nombreuses, font claquer fort leur bec. S’il y a des toiles d’araignée sur les chaises dédiées au public dans le manège couvert, des herbes folles qui grimpent un peu entre les rangées de gradins de la placita… le sourire de Léa, l’envie de Léa, sa passion débordante, animent toutes les écuries. La cavalière était là quand les lieux étaient à la mode, proche de Don Angel qui est décédé l’an passé, elle s’y est affirmée en tant que torero à cheval, elle s’y prépare encore cette saison. Les allées et venues de ses chevaux ne réveillent surtout pas le chien couché au pied d’un impressionnant ficus. Il n’y a que par 26º, en plein mois de février, que tout cela est possible !

Une bonne préparation pour Arles

Tout est opérationnel pour la temporada qui s’ouvre. «Je suis contente d’avoir ces premières corridas. Je vais arriver à Arles bien préparée. C’est important pour moi car j’ai toujours plus de pression dans ces arènes !» Léa Vicens, chouchou du public dans «ses» arènes de Nîmes, où elle a pris l’alternative en 2013 des mains de Paco Ojeda savait, en février quand nous l’avons rencontrée à La Puebla del Rio, que le couloir qui mène à la piste arlésienne risquait de lui paraître, cette fois encore, bien long.

À moins que le public de Pâques regarde enfin l’amazone autrement. «Les Arlésiens sont réputés pour appartenir à un peuple de cavaliers. Du coup, ils sont très critiques envers moi. Franchement, je pense que je pourrai être un petit peu plus soutenue… Je n’estime pas être une figura, mais ce qui est certain, c’est que je tiens tête aux figuras, et que je triomphe comme elles !» Ailleurs, la belle dame de 34 ans, caractère de feu, force de travail, ne cesse de gagner en estime. C’est important, car elle aime se sentir portée. Dans les moments intenses où il faut enchaîner les suertes, en inventer, c’est une source d’énergie. Soutenue, elle gagne en décontraction, sans se départir de toute la rigueur qu’elle s’impose. Léa observe ce public. En Espagne, elle en est sûre, elle est en train de drainer de nouveaux aficionados. Des jeunes notamment. «Les ados viennent me voir, filles comme garçons, ils me disent que je suis un modèle de réussite. Le public a pris l’habitude d’assaillir la fourgonnette… ça me motive pour triompher !»

Léa Vicens sera cette année dans toutes les arènes où elle a triomphé l’an passé. Souvent en alternance avec Pablo Hermoso de Mendoza et son fils Guillermo (comme cela sera le cas pour Pentecôte à Nîmes). «On s’entend bien et c’est un cartel qui fonctionne !» Elle devrait prendre part à une cinquantaine de corridas de rejon. «Les toros sont ma vie ! Mon objectif est de continuer en profitant de cette marge de progression qui est énorme… Et triompher à nouveau, là où je l’ai déjà fait !» Arles est en bonne place sur la liste.

Les dates

Née le 22 février 1985 à Nîmes. Alternative le 14 septembre 2013 à Nîmes des mains de Paco Ojeda. Confirmation à Madrid le 4 juin 2016 des mains de Mendoza.

  • Le toro, c’est José Domingo. Il manie le carreton pour donner confiance, rythme, ou recadrer. Léa l’a rencontré il y a 12 ans, au début de l’aventure. Il faisait des salades dans un bar, voulait faire du sport…

 

«Je veux inventer, consolider mon répertoire, fabriquer des chevaux»  

Aucune sortie en triomphe n’est due au hasard. C’est au quotidien, sans relâche, tous les matins, tôt, que Léa Vicens prépare ses chevaux toreros. Actuellement 18 composent l’écurie, dont 12 à 15 montés au quotidien. Et exclusivement par la cavalière. Le jeune Arnaud, passionné de chevaux, venu spécialement de Nîmes pour profiter des enseignements de Léa, veille aussi sur les poulains. «Les triomphes me motivent, je veux inventer, consolider mon répertoire, fabriquer de nouveaux chevaux. Là j’en ai trois qui vont débuter. Je les ai achetés à trois ans, pas débourrés. C’est ce que je préfère, les choisir, les mener où je veux. J’aime bien les faire à ma main, c’est un peu ma création, mon oeuvre d’art. Je les connais bien, ce sont mes bébés je les fabrique, je les éduque. Puis économiquement, aussi, cela vaut le coup. Un cheval de trois ans ne vaut pas du tout le même prix qu’un de 7 ans, et dressé pour toréer. On rajoute un gros zéro derrière pour un cheval qui toréé…«

Le travail consciencieux mené dans les écuries par Léa est en train d’être immortalisé par le photographe cordouan spécialisé Ramon Azañon Agüera. Un livre, au Diable Vauvert, est en préparation.

Ce matin de février, sous le manège couvert, Betico est mis à l’épreuve. «C’est un peu le chouchou, l’enfant gâté» reconnaît Lea. Mais elle vient d’être très ferme. «Betico est très torero dans sa tête, très intelligent, il capte l’embestida très vite, souvent il voit le toro avant moi… Je veux lui faire comprendre que je décide quand on fait les choses !» Léa a façonné Betico pour qu’il excelle dans l’art des quiebros. Avec une personnalité comme elle aime. «Ma tauromachie est plutôt classique. J’aime laisser faire l’instinct joueur et torero de chaque cheval, cela va transmettre plus d’émotions. Quand tu lâches les rênes, si le cheval aime ça, il va s’exprimer en mettant les oreilles, en arrondissant l’encolure !» Léa veut peaufiner son art, sans jamais copier, en apportant sa signature. Pour y parvenir, elle recherche des chevaux «beaux, athlétiques, musclés, endurants, rapides… Mais aussi je les veux un peu malins, coquins, un peu joueurs !» L’idée est qu’ils apportent à cette tauromachie très classique la note de fantaisie qui convient. Léa nourrit cet objectif au quotidien, en montant d’abord ceux qui ont besoin le plus de concentration, pour finir avec les plus relax. La seule à avoir les clefs !

La Provence.com

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